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Réseaux sociaux : briser les chaines de contagion

Contagion, virus... Ce sont bien les réseaux sociaux qui sont à l'origine des émeutes du Capitole à Washington. Tout le monde le reconnait, Twitter en premier.

Réseaux sociaux : briser les chaines de contagion

Réseaux sociaux : briser les chaines de contagion

Fév 26, 2021 | Data Intelligence | 0 commentaires

Les réseaux sociaux peuvent agir tels des virus. Pour le sociologue Dominique Boullier, il est temps de briser les chaines de contagion. Entretien.

Contagion, virus… Ce sont bien les réseaux sociaux qui sont à l’origine des émeutes du Capitole à Washington. Tout le monde le reconnait, Twitter en premier. Twitter qui a suspendu les comptes de Donald Trump, tout comme Facebook et YouTube. Sans décision de justice. De manière unilatérale.

Pour Dominique Boullier (*), auteur de «Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux» (éditions Le Passeur), c’est là un signal fort. «Nous avons vécu un événement inédit, un événement qui dit beaucoup de la toute-puissance des réseaux sociaux à travers leurs outils. La question, aujourd’hui, est de savoir si les réseaux sociaux sont encore maîtrisés… J’en doute. En juin 2020, Twitter s’était inquiété du fait que plus de 60% des comptes qui retweetaient un contenu ne l’avaient même pas lu. C’est fou ! Le bouton ‘retweet’ est devenu une arme de destruction mentale massive !»

Même constat pour la fonction ‘partager’ de Facebook. Au départ, en 2009, l’ambition était réduite : encourager la communication entre amis, entre proches. Personne, à l’époque, n’aurait imaginé l’usage qu’en font aujourd’hui les groupes de pression, les politiques, voire les Etats. En clair : fake news et polarisation.

Des machines à réplication

«Tout est fait pour accroitre notre attachement, notre dépendance, provoquant du stress et une baisse de notre niveau de vigilance. Il n’est pas question de réflexion, mais seulement d’engagement, regrette Dominique Boullier. En somme, la propagation à haute fréquence de tout message qui sera à la fois nouveau et saillant, quitte à choquer.» La proposition de valeur tient au seul clic. Et il rapporte. Beaucoup, énormément. En 2020, Facebook a réalisé près de 86 milliards USD de chiffre d’affaires et dégagé plus de 29 milliards de profits. Il y a peu, l’entreprise de Marc Zuckerberg s’est pourtant fait taper sur les doigts par des annonceurs : son ‘potential reach’ serait surestimé -autrement dit son audience. Et comme seul Facebook fournit les outils de contrôle à ses clients, sur base de ses propres algorithmes, on peut tout imaginer…

Les plates-formes sont aujourd’hui dépassées par leur succès. Et si, notamment, Twitter s’inquiète de la réactivité qui est son cœur de métier, pour la machine à réplication qu’il est devenu, c’est que la compagnie a conscience que la mauvaise info chasse la bonne avec ce type de dispositif.

Où la question du rythme des propagations et de la viralité est traitée comme le principal facteur de dérèglement de notre climat médiatique, en raison des impératifs de réactivité à haute fréquence que le design des plates-formes nous imposent subtilement. Gara à la contagion !

«Certes, notre attention est captée. Mais seulement sur la base d’indices, de signaux qui nous font réagir… Evaluer, sélectionner et hiérarchiser. ? Non. ‘Me the media’, dit-on. Mais si ce ‘moi-media’ n’effectue aucun travail en dehors de presser un bouton, cela ne fait que générer une réplication des posts les plus choquants, les plus surprenants.  Ceux qui possèdent, comme le disent les data scientists, le ‘score de nouveauté’ le plus élevé

Des hébergeurs, pas des créateurs de contenus

On l’a compris, seule compte la réaction, la vitesse de réaction. Mais pas la réflexion. Le business model des différents acteurs ne l’a pas prévue, pas même envisagée, assure Dominique Boullier. Et pour cause : les Twitter ou Facebook se présentent comme des hébergeurs, non comme des créateurs de contenus. Du coup, leur responsabilité n’est pas engagée. En revanche, en qualité de prestataire de service, ils peuvent eux-mêmes prendre position. On le voit au sujet des vaccins : les critiques sont automatiquement rejetées.

«En attendant, enchaine Dominique Boullier, les fake news prolifèrent. Il est toujours possible de chasser les sites et les comptes qui produisent ces infox, à la chaine parfois, mais les risques d’échec sont grands face à la capacité d’adaptation de ces fermes de fake news. Les risques pour la liberté d’expression sont tout aussi grands. En effet, il est facile de cibler des adversaires… tout en ne reconnaissant pas les fake news qui sont produites dans une communication gouvernementale !»

Un régulateur de vitesse

Pour l’auteur, sociologue et professeur des Universités à Science Po Paris, il serait beaucoup plus sûr de s’attaquer au rythme de la propagation. Lequel est inscrit dans le code même des interfaces des plates-formes de réseaux sociaux. Et de proposer un régulateur de vitesse de réactions. Bloquer, par exemple, un compte pendant 24 heures dès lors qu’il aurait déjà publié un post -un seul- sur une plate-forme donnée, un like, un retweet ou partage notamment.

Ce nouveau design entrainerait des conséquences apparemment contraignantes au début, mais libérerait pour chacun du temps attentionnel. Il permettrait surtout de sortir du jeu des obligations sociales réciproques. On pourrait ainsi masquer les publications d’un ami un peu trop invasif ou agité; on pourrait seulement regarder les contenus sans s’engager. En même temps, on sait que chaque message est aussi un signal qui permet de gagner de la reconnaissance et, surtout, engendrer des retours sur ses propres publications.

Réchauffement médiatique

«Brisons ces chaines de contagion, comme on dit pour le virus, qui ne sont pas si loin des chaines du bonheur qu’on envoyait par courrier… avec menaces si on brisait la chaine ! Oui, il nous faut apprendre à sortir de la dictature de la réactivité, enjoint Dominique Boullier. Et cela en limitant le rythme de nos réactions. Il ne s’agit pas de les empêcher, mais de peser chaque action comme une décision qui a une valeur, qui doit donc rester rare et réclamer examen et hiérarchisation.»

Voeu pieu ? On serait tenté de le penser. Tout, aujourd’hui, est fait pour accroitre notre attachement, notre dépendance, provoquant un stress et une baisse de notre vigilance. Mais que reste-t-il de notre réflexion ? «Les fake news sont moins un problème de véracité que de viralité incontrôlée». L’ouvrage démontre clairement que les designs choisis par les plate-formes visent à capter l’attention permanente de leurs utilisateurs et nous rendent incapable de traiter les enjeux de long terme. «On s’inquiète du réchauffement climatique, on devrait s’interroger sur la façon de ralentir le réchauffement médiatique !» Et, déjà, contrôler le rythme des réplications -les like, retweets, partages…

Imagineriez-vous des autoroutes sans barrières de sécurité, sans limitation de vitesse, qui seraient empruntées par des voitures sans contrôle technique ni freins, questionne Dominique Boullier. Voilà à peu près ce que les plates-formes ont créé, non pas pour des véhicules mais pour nos conversations et pour les messages publicitaires. Bref, pour ce qui connecte nos esprits. «On se plaint souvent du volume d’informations, l’infobésité comme on dit, sans remarquer que ce sont nos réactions et nos partages qui l’alimentent.»

Emprise mentale. Contagion

On voudrait éviter les discours de haine ou les fake news, mais ce qui fait le buzz, c’est pourtant ce qui choque, ce qui surprend, aussi stupide ou horrible soit-il. C’est le score de nouveauté qui compte pour capturer notre attention. Ni volume, ni temps passé, ni qualité des contenus, ne sont la source du problème. La question est celle du rythme et de l’alerte permanente qui nous rend attaché à ces réseaux sociaux.

Depuis quelques mois, la question du démantèlement des GAFAM est posée par la justice américaine et par la Commission européenne pour de nombreux motifs, dont celui d’abus de position dominante. C’est une vraie question. Mais il en est d’autres. Hormis les problématiques de concurrence, de protection des données et donc de souveraineté, il est urgent de s’interroger sur l’emprise mentale des réseaux. Et sa contagion. Il ne suffit plus de recommander les bonnes pratiques pour se déconnecter -en soi, une aberration. «Allons plus loin, implore Dominique Boullier. Adressons-nous aux responsables des plates-formes qui ont produit en quinze ans les infrastructures mondiales de nos échanges, de nos conversations et de nos connaissances… et qui menacent notre climat mental collectif.»

Propos recueillis par Alain de Fooz

 

(*) Dominique Boullier sera prochainement l’invité des Rencontres Stratégiques du Manager organisées par le cabinet de conseil en management BSPK. La série de conférences, qui porte sur le thème du management, est destinée aux dirigeants, CEO et managers qui accordent de l’importance à leur développement personnel et professionnel. Le programme des conférences est accessible ici.

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Les réseaux sociaux peuvent agir tels des virus. Pour le sociologue Dominique Boullier, il est temps de briser les chaines de contagion. Entretien.
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