Arnaud Bacros, Country Manager, EMC BeLux: tout le monde parle de transformation digitale… et chacun en a une vision -partielle ou partiale. Comment, vous, définissez-vous ce phénomène?
«Réduire les coûts via le cloud ne m’intéresse pas; en revanche; exploiter le cloud pour développer du business et donc du revenu, oui! Cette remarque -récente- d’un CIO m’a convaincu d’un fait: la transformation digitale est en route! Faire moins cher ce que l’on faisait hier n’a plus de sens; faire autrement ou faire autre chose, oui. La transformation digitale relève d’une ambition: tirer profit du digital pour enchanter la relation client, ce qui veut dire innover en matière de produits et services afin de générer de nouveaux revenus. C’est aussi un moyen: la capacité de l’entreprise à gérer l’adaptation de l’organisation et délivrer une performance mesurable. Sans elle, pas d’agilité, pas de rapidité, pas de nouveaux services, pas de relation client cross-canal.»
° La transformation digitale n’est donc pas seulement technologique?
«Non, mais c’est la technologie qui la supporte, qui permet de l’appréhender; Cette révolution est menée sur deux fronts: nouveaux business-models et performance de l’organisation, afin de créer la rupture, puis prendre une position dominante sur de nouveaux segments d’activité.
«La théorie de l’évolution nous indique que l’important ce n’est pas le changement en lui-même, c’est la vitesse d’adaptation! L’évolution des technologies est si rapide qu’elle génère de nouveaux usages, non détectables ou non envisagés jusqu’à présent. Nous le voyons chez nos clients: tout va vite, de plus en plus vite. Mais aussi en interne. On nous voit comme un spécialiste du stockage, alors que nous proposons bien davantage. Dans cinq ans, nous ne vendrons sans doute plus de baies de stockage…
«Partons d’un exemple concret. La solution EMC Enterprise Hybrid Cloud réunit les atouts des cloud privé et public en intégrant les environnements, les logiciels et les services d’EMC et de VMware. Avec cette solution, une entreprise se dote d’un environnement IT-as-a-service (ITaaS) en seulement 28 jours! Imaginez l’impact sur le business…»
° Qui doit assurer cette transformation digitale? Le CIO?
«Pas nécessairement. La maîtrise des technologies n’est le seul fait de l’IT, des entreprises comme Google ou facebook nous l’ont démontré. A l’opposé, le déclin de Kodak. Si, à une certaine époque, le nom était si fort qu’il remplaçait le mot ‘appareil photo’ dans notre vocabulaire, la marque a sombré pour ne pas avoir fait évoluer son modèle d’affaires, alors qu’elle était un leader technologique.
«Par transformation digitale, il faut savoir identifier de nouveaux business-models en sondant le marché, en écoutant les clients, en analysant les masses de données jusqu’ici inexploitées grâce aux solutions big data -peu d’entreprises ont conscience de leur richesse informationnelle! Par transformation digitale, il faut aussi entendre la capacité à créer des expériences clients singulières, à penser ‘commerce connecté’ afin de fédérer l’ensemble des points de contacts prospects et clients autour d’un même objectif, le parcours client unifié et personnalisé; fluidifier la collaboration des équipes pour développer l’innovation, la capitalisation métier, la connaissance client et, enfin, digitaliser les opérations -achats, production, finance: tous les métiers doivent gagner en flexibilité, en rapidité et partager les données ‘customer centric’ de façon transversale.
° Une des principales difficultés de la transformation digitale est qu’elle concerne tous les pans de l’entreprise et au-delà, ne s’accommodant plus des frontières, encore moins des silos. C’est perturbant!
«De fait, la transformation digitale bouleverse nombre de nos repères. Elle concerne et perturbe tout autant les relations humaines, le marketing, les ventes… sans oublier l’IT! Il n’est pas sûr, dès lors, que le CIO soit le plus à même à relever le défi. Qu’on ne se méprenne pas: si la transformation digitale s’appuie sur l’innovation technologique, elle n’est pas technique. Elle a besoin de la direction IT et de ses talents, mais doit impliquer beaucoup de fonctions de l’entreprise et nécessite un sponsoring de la direction générale. Elle modifie, sur certains périmètres, les règles du jeu du fonctionnement et des marchés.
«Dans leur ouvrage Digital Transformation, Jo Caudron et Dado Van Peteghem sont clairs: le futur CDO ne sera pas nécessairement l’actuel CMO, CIO ou autre CxO déjà en fonction. Si l’expérience des uns et des autres peut être riche, il faut faire preuve d’ouverture et de créativité. En effet, il faudra pouvoir passer de l’économie de la propriété à l’économie d’usage -ne plus être propriétaire responsable d’un bien, mais acheter un service packagé complet qui couvre mon besoin. Faire prévaloir la valeur d’usage sur la valeur intrinsèque -la notion de ROI ne fonctionne plus: on raisonnera davantage en opportunités versus risques. Faire prévaloir, aussi, le timing sur l’objet -je veux ce service ici et maintenant.»
° Nos entreprises sont-elles prêtes?
«Je poserais la question autrement: avons-nous le choix? Car toutes les entreprises sont confrontées à cette question. En faisant l’acquisition de ScaleIO, par exemple, EMC est sorti de sa zone de confort. Nous avons couru un risque majeur en misant sur le fait que nous avions de fortes chances de modifier en profondeur le paysage du stockage…
«On ne peut pas se lancer dans l’économie digitale si on ne se montre pas capable d’accepter et de gérer l’incertitude. Avec le digital, on ne connaît plus nécessairement ses concurrents: potentiellement toute entreprise, pour autant quelle soit capable de se positionner en intermédiation avec le consommateur ou l’acheteur -c’est vrai en B-to-B comme en B-to-C- pourra vendre le produit ou le service réalisé par un autre. Avec le digital, les petits n’ont pas moins de chance que les gros!»
° Revenons au CDO. Finalement, quel est est son profil?
«Le CDO a un rôle résolument transverse. En amont, il élabore et met en œuvre avec l’équipe dirigeante une stratégie digitale globale et cohérente pour saisir les opportunités que représente le numérique pour l’entreprise. Il veille, en relation avec la direction ICT, à ce que l’entreprise se dote des solutions technologiques pertinentes. En aval, il met en place les indicateurs qui permettront un suivi des performances des actions menées; il effectue une veille numérique constante pour identifier et diffuser les bonnes pratiques.
«Le CDO recueille et synthétise les besoins de la direction ICT et des autres services de l’entreprise pour mettre en place une stratégie digitale globale. Il est attentif à toutes les opportunités que représente le digital: fonctionnelles, métiers, mais aussi et avant tout commerciales. Priorité au business: tel est le message que doivent entendre les CIO!»