Le numérique pourrait générer plus de valeur !
Le Luxembourg au top européen du numérique ? Gérard Hoffmann, Président, FEDIL-ICT, se veut nuancé. La progression a été rapide, mais quid de la valeur ?
Le numérique, catalyseur de croissance et facteur d’attraction pour l’investissement. Sur ce point, tout le monde est d’accord. En Europe, le Luxembourg n’est-il pas un modèle ?
«Il est certain que le Luxembourg a connu une évolution exceptionnelle. Cela dit, j’estime que l’ICT pourrait générer plus de valeur encore… Ne nous voilons pas la face, nous avons des faiblesses. Ainsi, la productivité par personne/heure de travail du secteur ICT, même en services, est basse par rapport à des pays comme le Danemark et la Suède. Pour la FEDIL-ICT, Luxembourg doit évoluer vers des services à plus haute valeur ajoutée. L’arrivée prochaine d’un Google sur le territoire va partiellement dans ce sens…»
° Le numérique n’en reste pas moins une activité en forte progression au Luxembourg -il suffit de constater la difficulté d’engager des talents… L’emploi n’est-il pas un indicateur fort, voire le premier ?
«Un indicateur fort, de toute évidence, mais pas le seul. Aujourd’hui, les acteurs du numérique représentent 4,5 % de l’emploi total. Entre 2016 et 2019, l’emploi dans le secteur ICT a progressé de plus de 15 %. On ne peut que s’en féliciter. Mais si l’on considère le PIB, la progression ne suit pas la même courbe. La productivité du secteur doit évoluer. L’ICT au Luxembourg est encore largement une activité de service, et non de production de solutions. C’est là que le bât blesse !»
L’infrastructure n’est pas tout !
° Le pays compte pourtant des infrastructures exceptionnelles, notamment à travers ses datacenters et ses télécoms… Selon le «2019 Global Digital Readiness Index» de Cisco, le Luxembourg se positionne en deuxième place au niveau mondial parmi 141 pays !
«Oui, le Luxembourg juste derrière Singapour ! Selon cette source, le Luxembourg serait aussi le pays européen qui a obtenu le meilleur indice d’avancement numérique… Mais l’infrastructure n’est pas tout. Prenons l’exemple de la 5G. L’avance du Luxembourg est réelle. C’est un fait. Mais par-delà l’attribution des licences -prévue pour cet été- il reste à créer les services qui généreront la demande. Ce sont les usages qui créent la valeur. Bref, disposer des meilleures infrastructures ne suffit pas.»
° Où situez-vous les carences ?
«Mon propos est purement économique. Sur base de nos infrastructures, nous devrions envisager le numérique comme le premier levier d’amélioration de la productivité et de compétitivité du pays. On voit aussi que la productivité d’État est directement corrélée avec l’investissement qui est fait dans l’ICT, tant par le secteur public que directement par le privé. Malheureusement, selon une autre étude, réalisée par la Commission européenne, le Luxembourg se positionne à la queue du peloton en matière d’investissement en recherche privée…»
Où sont les start-up ?
° Et pour quelles raisons ?
«La recherche est relativement faible. Si le secteur public est plus engagé aujourd’hui en recherche grâce à l’université notamment, le secteur privé, lui, est à la traine. C’est une question de structures d’entreprises. Elles sont majoritairement petites et axées sur les seuls services. Autrement dit, peu d’innovation. On s’en rend compte aussi en en comptabilisant les start-up en ICT. Trop peu nombreuses… Des pays comme l’Irlande ou la Roumanie nous devancent. Le premier, il est vrai, accueille de nombreux acteurs ICT de tout premier plan; le second, lui, a décidé de combler son retard très rapidement…»
° Vous évoquez les start-up. Comment les attirer ?
«Via des outils novateurs de financement plus ciblés, en reconsidérant aussi le principe des subventions. Globalement, aussi, par un meilleur encadrement. Bref, il s’agit de sortir du cadre encore restreint des incubateurs, tout en sachant que ceux-ci jouent un rôle absolument nécessaire. Un bon exemple est l’appel d’offre récent du gouvernement pour l’innovation dans la 5G.»
Numérique, oui. Mais quel niveau d’automatisation ?
° Revenons aux services. Vous semblez regretter leur faible valeur. Pour quelles raisons ?
«Mon constat concerne tant les entreprises du secteur privé que les organisations du secteur public… Prenez l’exemple de la finance, toujours le secteur le plus important pour le pays. Fortement régulé, il est conservateur. De là, un retard en termes d’automatisation. Un retard très net si on le compare à l’industrie manufacturière, qui a abordé sa transformation digitale bien plus tôt et, surtout, de façon plus engagée.
«Les administrations, aussi, sont en retard. Or, elles jouent un rôle très important, en particulier à travers leurs relations avec les petites et moyennes entreprises. Par essence, leur rôle est de favoriser les interactions…»
Promouvoir la place ne suffit pas
° Ne serait-ce pas le cas ?
«Autant la stratégie du gouvernement est claire, autant les avancées pourraient être plus ambitieuses. On le voit plus à promouvoir la place, ce qui est bien entendu une nécessité, qu’à investir en interne. Certes, on ne peut être sur tous les fronts. Mais il serait dommage de négliger sa propre maison…
«Bref, les investissements dans l’innovation numérique dans les administrations sont encore faibles par rapport à ce que l’on peut constater dans les pays voisins. Je pense que le gouvernement peut jouer un rôle à ce niveau pour encourager l’investissement et, de cette manière, contribuer davantage à l’amélioration de la productivité du Luxembourg et à la croissance de l’économie dans son ensemble. A ce niveau, j’attends beaucoup du futur Haut Comité de la Digitalisation.»
° Il est beaucoup question de l’installation de Google -un investissement de deux fois 600 millions EUR. Comment percevez-vous l’arrivée de ce GAFA ?
«Google attirera du monde, renforçant indirectement l’image du pays. A l’instar d’Amazon, d’ailleurs. Comme Google en Belgique, à Saint-Ghislain, l’entreprise va développer tout un éco-système, avec des sous-traitants, des acteurs complémentaires, certains même très spécialisés… C’est là une belle opportunité pour le Luxembourg. Et cela augmentera la valeur ajoutée par employé du secteur du fait que le projet est intensif en capital. Mais, encore une fois, voyons plus loin. Soyons plus ambitieux !»
Propos recueillis par :
Alain de Fooz
Ces articles parlent de "Artificial Intelligence"
Artificial Intelligence, Deep Learning, Machine Learning