La Loi du 25 juillet 2015 sur l’archivage électronique et la dématérialisation a positionné le Luxembourg. Mais, par-delà les aspects législatifs, par-delà aussi les opportunités économiques pour les futurs prestataires, quels gains -concrètement- retirer de la dématérialisation ? Bernard Moreau, CEO, Labgroup, et David Gray, CEO, Numen Europe, avancent différentes pistes de réflexion.
° La loi de juillet 2015 sur l’archivage électronique au Luxembourg consacre le développement de la dématérialisation. Si la question de la certification reste ouverte, comment, aujourd’hui, les entreprises perçoivent-elles les avantages de la dématérialisation ? Où en sont les projets ?
David Gray : «Les RFP se succèdent. Le secteur financier, en particulier, a été le premier à s’engager, à prendre les devants. Le secteur semi-public, aussi, n’est pas en reste. D’une manière générale, les formes d’intérêt concernent la dématérialisation en mode services. J’observe aussi que, outre la Loi, les entreprises et organisations commencent à percevoir ‘tous’ les gains de la dématérialisation. Car si l’on associe l’archivage aux notions de classement et de stockage, on ne pense pas de prime abord au knowledge management afin d’utiliser les connaissances archivées et gagner en harmonisation. Autre extension, le case management. Certes, le gain de mètres carrés est -et reste- une réalité, mais il en est d’autres, dont la notion de confiance augmentée, qu’il s’agit aujourd’hui, dans le contexte de la nouvelle Loi, de mettre en avant.»
° N’empêche : peu d’entreprises sont pleinement conscientes des coûts associés à la conservation des archives papier. Tout au mieux, on sait qu’ils sont… importants.
Bernard Moreau : «Ces coûts sont importants, qui plus est ils sont difficiles à cerner parce que de différentes natures. D’abord, la gestion de l’espace, avec les coûts provenant de la surface occupée, des charges d’électricité et d’entretien afférents. Les coûts, ensuite, pour l’entreposage; il faut prévoir des armoires dédiées et des équipements de rayonnage. Des coûts qui, au final, ne font qu’augmenter partant que, sur base des dispositions réglementaires de conservation des documents et l’activité de l’entreprise, la quantité de ces documents augmente constamment. Mais par-delà l’aspect matériel, il s’agit aussi de tenir compte de la facture humaine, c’est-à-dire le temps passé par les collaborateurs à rechercher, classer, conserver les documents papiers.»
D. G. : «Par ailleurs, les méthodes de classement adoptées sont souvent incohérentes ou lacunaires. Ce qui signifie qu’il est facile de perdre du temps à retrouver des documents. Il est en effet reconnu qu’un employé consacre plus de 300 heures par an à la recherche de ces documents, or la recherche d’un document papier archivé peut coûter jusqu’à 20 EUR par unité. Bref, la perte de temps liée à la recherche alourdit de manière significative les coûts relatifs à la conservation physique des archives.»
° Peut-on encore dire, aujourd’hui, que le papier rassure ?
B. M. : «Même si la confiance accordée à un document que l’on peut toucher semble difficile à dépasser, dématérialiser les processus apporte davantage de garanties. Ce qui s’explique. L’entreprise reçoit des documents, en fait circuler et doit les stocker, ce qui représente un poids que la dématérialisation fluidifie. Vous pouvez aujourd’hui signer des documents informatisés, leur donner une valeur juridique, les frapper de confidentialité et y apposer toutes les fonctions d’un document papier traditionnel. La nouvelle Loi a été promulguée dans ce sens.»
° Revenons aux documents papier. Ils nous encombrent, nous en sommes conscients. Mais on évalue encore mal les risques qu’ils représentent. Lesquels souligneriez-vous ?
D. G. : «Les premiers risques matérielssont liés à la destruction potentielle des archives : contenu qui s’efface avec le temps, conséquences d’un incendie, d’une inondation ou tout autre événement climatique; risques aussi de pertes liées à des déménagements ou à une action malveillante. A ces événements exceptionnels, le risque le plus répandu est lié à la mauvaise gestion du classement des archives: dans une entreprise, plus de 20% des documents papiers sont mal classés et introuvables et 1 document papier sur 20 n’est jamais retrouvé. Ce risque là est souvent le plus important, alors qu’il est le plus négligé. Or, la perte d’un document papier, pour quelque raison que ce soit, peut entrainer un risque réglementaire significatif : en cas de litige avec un client, fournisseur ou tout autre tiers, la perte de documents légaux peut entrainer des conséquences irréversibles; en cas d’audit fiscal ou administratif, il suffit d’un seul document manquant pour entrainer un défaut de conformité règlementaire.»
B. M. : «Si, là encore, on peut parler de risques exceptionnels, j’en vois un autre, courant, mais aux conséquences énormes : le risque de l’ insatisfaction client. De fait, une mauvaise gestion des archives impacte efficacité, rapidité et productivité, ce qui détériore la confiance que vos clients vous portent. Une relation de qualité moyenne avec vos clients peut même les inciter à rompre définitivement leur contrat avec vous.»
° Vous parlez de productivité. Peut-on chiffrer l’apport d’un archivage électronique
B. M : «Si le retour sur investissement découlant d’une diminution de consommation de papier est souvent faible, la numérisation des archives facilite grandement l’accès à l’information et impacte favorablement l’organisation du travail.Songez à l’unicité de l’information : associée à une gouvernance de l’information, l’attribution d’un statut d’archive va garantir l’unicité du document.
«Songez encore à la réactivité, donc à l’agilité. Les organisations performantes doivent pouvoir répondre aux demandes de leurs clients rapidement. L’archivage numérique permet par exemple d’automatiser le versement des informations clients (des données et des documents) dans les applications de gestion. Outre les gains de temps et la diminution des erreurs, ce type de fonctionnalités facilite la constitution de dossiers d’archives centralisés et permet de réunir dans un seul endroit l’ensemble des informations concernant un client. Les services commerciaux pourront archiver facilement toutes les pièces d’un client, ses contrats, ses commandes, etc.; ils pourront ajouter les autres documents au fil de l’eau, une réclamation par exemple, même à partir d’un autre site, bureau ou service. Parallèlement, des contrôles logiciels pourront être lancés pour vérifier notamment la complétude des dossiers. Plus globalement, cet archivage numérique homogénéise la constitution de dossier. Dès lors, l’organisation retrouve la capacité de retrouver facilement une pièce même ancienne réclamée par un client, ce qui, en augmentant la satisfaction du client, ne peut que renforcer la performance globale de l’entreprise.»
° Dématérialiser permet donc de gagner du temps…
D. G. : «Oui. La gestion des documents est transférée vers les ordinateurs, qui vont être amenés à jongler avec une base de données ainsi constituée. L’utilisateur n’a ainsi qu’à saisir les références de son document pour le retrouver sans même avoir à se déplacer. Pour la consultation, c’est également beaucoup plus rapide, car le temps pris pour la numérisation est vite rentabilisé.
B. M. : «Un gain de temps qui va de pair avec l’économie réalisée. On rentabilise en effet bien davantage les journées de travail, car les collaborateurs sont dès lors mobilisés pour une activité plus rémunératrice pour l’entreprise. D’autant que, concrètement, la dématérialisation enlève le poids financier des coûts de gestion pour l’entreprise.»
° Jusqu’où ?
D. G. : «De par les progrès technologiques, les limites se déplacent. Si, hier, les données étaient pensées pour être numérisées et stockées/archivées, l’avenir est aujourd’hui dans leur exploitation 360°. C’est le propre du case management. A la croisée de la gestion électronique de documents, de la gestion de contenu d’entreprise et de la gestion des processus métiers, le case management consiste à centraliser et gérer efficacement l’ensemble des documents, des processus et des données utilisés pour résoudre un cas spécifique. Ainsi, peu importe le gestionnaire et l’endroit où le contenu est stocké dans le système d’informations de l’entreprise.
«C’est un pas plus loin. Le case management améliore et renforce l’interaction entre les acteurs du dossier, les processus et les contenus. Toutes les informations relatives à un cas sont dématérialisées et réunies dans une plateforme unique immédiatement accessible à tous les gestionnaires. En fournissant une vue à 360 degrés de toutes les informations concernant un dossier, le case management optimise leur traitement, permet aux employés de travailler plus intelligemment et augmente la productivité de l’entreprise.»