Nous ne sommes pas à un paradoxe près. Mais celui que nous vivons actuellement est particulièrement inquiétant. De fait, si on a dépassé les 12 millions de chercheurs dans le monde, 2 millions de brevets déposés l’an dernier et 110 000 revues scientifiques, dans le même temps, les progrès des nouvelles technologies ont des conséquences redoutables sur les emplois en les détruisant massivement…
Difficile, dès lors, de parler de «progrès». Quelle est, en effet, la place réservée à l’individu dans un monde de plus en plus digitalisé? C’est une des questions qui seront abordées mardi 9 décembre, lors de la conférence annuelle du Gala IT One, par Marc Giget, Président de l’European Institute for Creative Strategies and Innovation et du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation.
«Jusqu’ici, les pertes ne sont pas compensées par des créations d’emplois en volume suffisant; nous sommes au cœur du phénomène de destruction créative.»
Et deux scénarios se présentent. Le premier pessimiste dans le sens où, pour la première fois, la révolution technologique actuelle touche directement l’intelligence humaine. Traduction, intelligence artificielle, interprétation, analyse, mémoire, logique, stockage, classement, évaluation: les machines se substituent progressivement à l’intelligence humaine. Le second, optimiste, basé sur l’apport des technologies.
Marc Giget a étudié une douzaine de périodes d’innovations qui ont eu lieu par le passé. Ceci pour modéliser la phase suivante: la crise passera, une phase créative et massive d’emplois suivra. Pour le moment, la révolution touche surtout les technologies de l’information. Demain elle aura gagné l’énergie, les transports, le vivant (biologie moléculaire et génétique), les matériaux. L’enjeu est d’améliorer ces technologies et de mailler ses progrès avec les métiers de la santé, de l’éducation et des transports pour arriver à délivrer des applications vraiment utiles. Ce qui veut dire, encore, que si nous disposons d’une multitude de briques technologiques hyper efficaces, il est temps de construire une nouvelle cathédrale. Et c’est possible: ne fait-on pas marcher des paralytiques avec des exosquelettes?
«Pas de grandes innovations sans technologies, pas de grandes innovations sans l’humain», insiste Marc Giget. Si des emplois sont aujourd’hui perdus, l’humain reprendra sa place. Autrement. On a vu émerger le peer-to-peer, la relation directe d’individu à individu, sans passer par les grandes institutions. D’un coup, les minorités peuvent devenir très puissantes; elles ne peuvent plus être ignorées.
Pour le fondateur de l’Institut européen de stratégies créatives, «innover, c’est intégrer le meilleur des connaissances du moment pour faire progresser la condition humaine». Pas sûr, en revanche, que la sortie d’un nouvel iPhone tous les six mois améliore la vie des gens, dans le sens de se loger mieux, manger mieux, se déplacer mieux…
Le nouveau, s’il est plus efficace, balaie l’ancien. Inexorablement. Problème: la destruction arrive toujours un peu avant. Et elle peut être violente. L’incertitude est profonde, plusieurs techniques s’affrontent. Pendant trente ans, on a tout misé sur les dirigeables. C’était gros, c’était bien; comparativement, l’avion était ridicule. Erreur. Vous inventez le MP3 et le CD ne vaut plus rien! Résultat: dans les grandes vagues d’innovation, on perd 20% du PIB… et le système financier s’effondre. La valeur s’est déplacée, tout simplement.
De là à soutenir que l’innovation provoque donc la crise, il n’y a qu’un pas. Après une longue période de maturation de la science, puis des techniques, c’est une phase de «synthèse créative» qui chasse ce qui existait. Mais, peu à peu, le nouveau modèle dominant s’essouffle lui aussi, car il a tout donné. L’automobile, qui a chassé les attelages, arrive à ses limites. Pollution, bouchons… Elle est appelée à disparaître, du moins sous sa forme actuelle.
«Darwin n’est jamais loin», assure Marc Giget. Seuls 15 à 20% de ceux qui sont en place survivent. On connait tous ces géants qui ont traversé l’Histoire. Qu’ils se nomment GE ou IBM, et s’ils sont encore riches, ils se fragilisent. Et pas seulement eux. Aujourd’hui, les plus grandes institutions financières tremblent devant les start-ups du web 2.0. C’est un éternel recommencement. McDonald’s est né en pleine dépression post-1929, en offrant pour 25 cents un repas complet. Et Microsoft a démocratisé l’informatique en proposant le même software à tous… Qui sera le prochain IBM? Quelles innovations nous apportera le prochain Microsoft?